Acte 6 des Future DAYS : Vers des mobilités sûres pour des territoires attractifs
Situé à la fois sur les sites de Marseille et de Salon de Provence, le campus Méditerranée de l’Université Gustave Eiffel abrite des laboratoires de recherche et de formation traitant de sujets relevant à la fois des sciences de l’ingénieur, des sciences humaines et sociales et des sciences du vivant dans des démarches interdisciplinaires et systémiques sur la sécurité dans les transports et la santé.
Isabelle Ragot-Court, docteure en psychologie sociale, chargée de recherche, Laboratoire Mécanismes d’Accidents (LMA), Université Gustave Eiffel et Maxime Llari, directeur adjoint du Laboratoire de Biomécanique Appliquée (LBA) nous présentent quelques axes de recherche de leurs laboratoires.
Les recherches menées au LMA ont pour originalité de s'appuyer sur une approche compréhensive des phénomènes d'insécurité de la circulation routière. L'émergence des nouvelles mobilités des usagers constituent aussi de nouveaux facteurs d'insécurité. Comment ces nouveaux enjeux de mobilité imposent-ils plus largement des enjeux interdisciplinaires ?
Isabelle Ragot-Court : L'approche compréhensive et systémique des phénomènes d'insécurité de la circulation routière permet d'appréhender ces phénomènes à l'échelle des dysfonctionnements qui surviennent entre l'humain, son véhicule et l'environnement dans lequel s'effectuent les déplacements mais aussi à l'échelle des territoires et du contexte social.
En s'appuyant sur l'étude approfondié de cas d'accidents, les connaissances produites au LMA permettent de comprendre la genèse d'un accident, qui est souvent multi-factorielle. Dès lors, l'interdisciplinarité entre les Sciences Humaines et Sociales (Psychologie, Urbanisme, Géographie, Économie etc) et les Sciences Pour l'Ingénieur (Mathématique, Mécanique, Physique, Électronique, Informatique industrielle) est mobilisée dans les recherches du LMA.
L'émergence des nouvelles mobilités - plus individuelle, à motorisation électrique, de plus en plus automatisée mais aussi plus "numérisée" - contribuent à l'évolution du système de déplacements et de ses dysfonctionnements.
En conséquence, elle complexifie les déterminants des composantes du système Homme-Véhicule-Environnement, et appelle une modernisation des méthodes de recueil, d'analyse et une adaptation des problématiques. Ces nouveaux enjeux de mobilité imposent de manière croissante et intégrée la mobilisation des sciences du numérique offrant l'opportunité d'enrichissements réciproques avec les disciplines susmentionnées (observation assistée, processus de connaissances basées sur l'intelligence artificielle, persuation technologique, nouveaux modèles mathématiques de simulation et de modélisation de systèmes de plus en plus complexe etc.).
Comment ces enjeux nourrissent-ils le projet de recherche-action participative qu'est le Living'Lab ? En quoi ce projet permettra-t-il d'accompagner les collectivités sur leurs transistions ?
I.R-C : L’intérêt principal est de permettre de sortir de la verticalité de la recherche qui n’est pas toujours adaptée pour prendre en compte les enjeux locaux et révéler des pratiques. Selon les principes directeurs d’intermédiation et d’innovation de la méthodologie « Living Lab », la démarche reposent sur l’implication et la prise en compte des usagers -citoyens, parties prenantes, décideurs locaux- dans toutes les étapes du processus de la recherche.
Dans un tel dispositif méthodologique, les enjeux, les problématiques et les contraintes du terrain sont pris en compte pour tendre vers la recherche de solutions efficaces, pertinentes, utilisables, acceptables et acceptées en intégrant la société civile dans une démarche prospective et innovante.
Dans notre cas, le Living Lab MOUVEDIS « Mobilités, Usages de la Ville, Environnement Durable, Inclusif et Sûr » est dédié aux enjeux actuels et à venir des mobilités et leur impact sur l’accidentalité.
Le périmètre de recherche se situe à l’échelle de Salon-de-Provence et de quelques communes limitrophes qui dessinent "un territoire de vie". Salon-de-Provence est une ville de taille moyenne qui présente un intérêt stratégique comme « ville laboratoire » par son rôle de centralité vis-à-vis des territoires environnants et en tant que commune appartenant à l’armature urbaine de la métropole Aix-Marseille-Provence dont le schéma de cohérence territoriale (SCoT) vise clairement l’accélération des transitions écologiques et énergétiques.
À Salon de Provence, comme dans la plupart des villes moyennes, l'offre de transport en commun entre les communes est assez faible et la dépendance automobile est forte. Aussi, en cohérence avec l’enjeux des transitions et à son échelle, Salon de Provence (reconnu « aire d’attraction » par l’INSEE sur le critère de l’emploi et doté d’un haut niveau d’équipements) a vocation à mettre en œuvre des solutions pour développer une stratégie efficace de « modération de la circulation » et de partage de la voirie (être un nœud d’interconnexion dans le futur réseau de transport interurbain métropolitain et organiser un réseau de transport collectif de proximité à l’échelle de son bassin de mobilité, promouvoir l’usage du vélo en assurant aux utilisateurs de bonnes conditions de confort et de sécurité…).
Dans ce contexte et à la faveur du living Lab MOUVEDIS, Salon-de-Provence fait figure de terrain d’observation, d’expérimentation et de production de connaissances transférables et généralisables à d’autres territoires de la Métropole, transversales aux types d’usagers et aux différentes mobilités qui y seront étudiées.
La ligne de recherche qui fédère les équipes du Laboratoire de Biomécanique Appliquée (LBA) est centrée sur l’Homme Virtuel, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Maxime Llari : La ligne de recherche qui fédère aujourd’hui l’activité du Laboratoire de Biomécanique Appliquée est centrée sur l’Homme Virtuel à la fois pour comprendre les traumatismes, les prévenir et les réparer que pour mieux soigner le corps humain. Elle mobilise des approches pluridisciplinaires entre sciences de la vie et sciences pour l’ingénieur avec des expertises fortes en biomécanique, physiologie, anatomie, imagerie, mécanique, informatique.
Cette stratégie scientifique se décline en deux axes de recherche appliquée complémentaires :
- Biomécanique du traumatisme qui renvoie aux enjeux de compréhension des traumatismes, de prévention, de prise en charge et de réparation d’une lésion,
- Biomécanique et thérapeutique qui est utile pour concevoir des dispositifs médicaux innovants, pour planifier, pour quantifier l’évolution de certaines pathologies et enfin contribuer à former aux techniques chirurgicales.
Ce positionnement scientifique dans les champs de la santé, des transports et du sport est ainsi de nature à porter la stratégie scientifique des deux tutelles Aix-Marseille Université via la Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales et l’Université Gustave Eiffel via son département Transport-Santé-Sécurité.
Il ouvre ainsi deux champs d’applications complémentaires : « protection et performance » et « technologie pour la santé ».
Le système d’alerte et d’optimisation des secours pour les victimes d’accident de la route, I-SAFE VIRTUAL HUMAN a été développé en collaboration avec des chercheur.es, des médecins et des sapeurs-pompiers. Comment cette innovation technologique et organisationnelle mobilisant diverses parties prenantes contribue-t-elle à rendre les territoires plus sûrs ?
M.L : Ce projet I-SAFE, soutenu par la DSR et par le CPER, vise à apporter une brique technologique intermédiaire avant le véhicule autonome, pour optimiser la prise en charge des victimes dès l’accident par la prédiction du risque de blessure et de l’évolution des constantes physiologiques.
Ce projet fédérateur, à l’échelle régionale, mobilise des chercheurs, des médecins et des sapeurs-pompiers pour l’utilisation des technologies embarquées, les problématiques d’aménagement du territoire, l’intégration de nouvelles technologies pour les services de secours et les équipementiers (airbag, constructeur automobiles, fabricants de dispositifs de protections, mutuelles…).
Ce système permettra une meilleure prise en charge des victimes dans la chaîne des soins depuis les premiers secours délivrés sur place jusqu’à la prise en charge médicale et chirurgicale dans un « trauma center », l’objectif est de gagner du temps (temps précieux pour le devenir des victimes, notamment sur des territoires éloignés des traumas center).
A titre d’exemple une réduction de 10 minutes du temps d’intervention peut être associée à une baisse de la probabilité de mourir d’un tiers.