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Quand l'Histoire urbaine rencontre l'Histoire environnementale : entretien avec Loïc Vadelorge

Notre temps est saturé d'injonctions à la transition environnementale, qui sont autant d'appels à rompre avec un passé consumériste hérité de la civilisation industrielle et plus particulièrement des Trente Glorieuses.

Depuis une vingtaine d'année cependant, les historiens et les historiennes de l'environnement ont beaucoup travaillé et révélé que l'inconscience environnementale des sociétés qui nous ont précédé était un mythe. En quoi ces travaux d'histoire environnementale peuvent-ils nous aider à penser la période actuelle et à lui donner une profondeur qui lui fait défaut ?

Loïc Vadelorge est professeur d'histoire contemporaine à l'Université Gustave Eiffel depuis 2012 après avoir successivement enseigné à l'Université Versailles-Saint-Quentin et Paris 13. Ses travaux portent sur l'histoire urbaine du contemporain (XXe et XXIe siècle). Il a été directeur du laboratoire ACP de 2013 à 2019 et est depuis 2019 responsable scientifique du LabEx Futurs Urbains qui porté par l’Université Gustave Eiffel associe une diversité de partenaires.

 

Vous travaillez actuellement sur le lien entre l’histoire urbaine et l’histoire environnementale. Pouvez-vous nous en dire plus sur le sujet ?

L.V : Jusqu'à une date récente, l'histoire urbaine du XXe siècle s'est principalement focalisée sur la compréhension des ruptures comme la formation des banlieues, la politique des grands ensembles ou des villes nouvelles, la compréhension de l'étalement séculaire des villes ou plus récemment les crises sociales urbaines. Dans cette histoire de la production urbaine, l'environnement a été souvent écarté, comme du reste dans l'histoire industrielle ou ouvrière. L'évolution actuelle de la recherche historique vise au contraire à restituer les éléments environnementaux de l'histoire des villes, qu'ils procèdent de politiques publiques (espaces verts, cadre de vie, gestion des risques, politiques énergétiques…) ou de crises (accidents industriels, mouvements sociaux s'opposant à l'artificialisation des sols...). Il s'agit notamment de révéler l'épaisseur historique des questions environnementales appliquées à la ville.

 

 

Cette relation a-t-elle un impact sur la transition des villes et des territoires ?

L.V : Pour la plupart de nos contemporains, à commencer par les élus locaux et les responsables gouvernementaux, notre temps doit rompre avec la manière dont on fabriquait la ville au XXe siècle. Le recours à l'histoire permet de révéler que les sociétés urbaines du XIXe-XXe siècles n'ont pas été fermées aux problématiques environnementales. En matière environnementale, les caricatures du passé des villes conduisent à un renouvellement urbain souvent lourd de conséquences pour les paysages comme pour les populations. Les mots clés de notre époque (développement durable, transitions climatiques ou énergétiques, éco-quartiers, forum de résilience) doivent être confrontés à la réalité d'une production urbaine continue qui ne répond ni aux souhaits des populations, ni aux enjeux de la crise climatique. L'histoire urbaine incite à réfléchir sur les qualités intrinsèques des nouveaux ensembles urbains produits tout au long du XXe siècle (banlieue pavillonnaire, cités-jardins, grands ensembles, villes nouvelles) avant d'enclencher les processus en cours de renouvellement et de densification.

 

Vous intervenez lors de la plénière d’ouverture des FUTURE Days le 29 novembre prochain. Qu’attendez-vous de cet événement ?

L.V : Les Future Days constituent depuis l'origine des moments de rencontre entre chercheurs et chercheuses de disciplines différents, entre étudiants et chercheurs, entre responsables associatifs et politiques et universités. Cette rencontre est d'autant plus nécessaire que la transition environnementale nécessite la fabrication d'un consensus politique, auquel l'université doit contribuer. La défiance entre la classe politique et l'université, qu'on a pu observer ces dernières années, aussi bien à l'échelon national que local est lourde de conséquences. Les enjeux d'une transition environnementale à la fois efficace et socialement équitable nécessitent que les sciences humaines et sociales soient écoutées.