Regard sur les transitions par David Demortain, Directeur du LISIS
Présentez-vous en quelques mots.
David Demortain : Je suis sociologue des sciences et de l’action publique. J’étudie le phénomène de l’expertise en société et dans l’action publique : la production et la mobilisation de savoirs scientifiques par les acteurs des politiques publiques, notamment les politiques de sécurité sanitaire et de santé environnementale.
Pouvez-vous nous parler des recherches menées au sein du laboratoire LISIS ?
D.D : Les chercheurs du LISIS partagent l’idée selon laquelle les connaissances et les technologies ne prennent pas forme en dehors de la société, mais sont pleinement encastrés dans la société au sens large : dans les mondes sociaux qui utilisent ces technologies et produisent ces savoirs, dans les industries et mondes économiques, dans les espaces politiques dans lesquels on en débat, ou dans les politiques publiques et les institutions qui mobilisent ces savoirs pour mesurer et agir sur les problèmes.
Les sciences et les techniques sont façonnées par la société à tous ces niveaux, autant qu’elles la façonnent.
Qu’est-ce qui a amené à la création de cette UMR ?
D.D : Le laboratoire est le fruit d’un travail de longue haleine pour structurer les recherches en France sur les sciences, les technologies et l’innovation en société. Ces efforts se sont concentrés à l’Est de Paris, avec l’idée de créer un pôle de référence sur ces thèmes au sein de ce qui est aujourd’hui l’Université Gustave Eiffel.
Toute une série d’initiatives ont eu lieu sur ce site pour cela, depuis la création d’un réseau d’excellence européen sur les politiques de recherche et d’innovation, l’installation d’une équipe de l’INRA (aujourd’hui INRAE) sur les sciences en société à Marne-la-Vallée, le lancement du GIS IFRIS et du Labex SITES, ainsi que la création d’une plateforme numérique pour les sciences sociales, CorText.
La création de l’UMR sous la tutelle de l’Université Eiffel, d’INRAE et du CNRS prolonge et capitalise sur toutes ces initiatives.
Comment les enjeux de votre UMR s’inscrivent-ils dans les thématiques portées par l’Université Gustave Eiffel ?
Les chercheurs du laboratoire s’intéressent pour une bonne partie d’entre eux à des transformations ‘sociotechniques’ : transitions durables, transformation numérique ou digitalisation, innovation dans la gestion environnementale, la production agroalimentaire ou dans la gestion du vivant. Ils analysent ces transformations en train de se faire, les interactions entre les multiples acteurs qui fabriquent ces transformations, les chemins qu’elles empruntent, les manières de mesurer ces transitions et de les gouverner.
Ils posent la question du politique dans ces transformations : quelles promesses, quelles imaginaires, quelles directions et controverses pour le changement des sociétés ? Quelle place pour le public et la participation à ces changements, parallèlement aux industries, aux professions et aux bureaucraties ?
Tous ces questionnements s’appliquent de près aux transformations de la ville, aux modes d’urbanisation et de construction, aux évolutions des infrastructures, au cœur de l’Université. Et donc nous nous employons à les traiter dans des projets sur l’urbain et la ville. Nous travaillons ainsi sur la co-création des innovations pour les villes durables, sur la place des universités dans la production des savoirs scientifiques sur l’urbain, ou encore la mesure et la quantification des impacts environnementaux des activités industrielles...
Nous apportons aussi notre appui à l’université sur ses missions d’appui aux politiques publiques, ou les relations sciences-société. Nos recherches sur les formes de l’expertise ou les sciences participatives peuvent aider à appréhender ces missions et les manières de les mener à bien.
Comment le LISIS traite-t-il la question des transitions au sein de ses recherches ?
La transition est devenue omniprésente dans les médias et dans les politiques gouvernementales – il ne semble plus faire plus de doute que les sociétés et les industries doivent faire leur transition. Mais derrière l’impératif actuel se cachent des processus complexes, que le LISIS prend pour objet depuis de longues années.
Pour analyser les transitions, au pluriel, il faut décomposer les différents mécanismes et rythmes de changement à l’œuvre dans les transitions, car il y en a de toutes sortes : le déverrouillage, la déstabilisation progressive du fonctionnement normal des systèmes techniques en place, l’émergence d'innovations radicales...
Il faut également se départir de l’idée qu’il y un point d’arrivée prédéfini : les chemins de transition se façonnent, se négocient au fil de l’eau, et peuvent être multiples et contestés. Pour bien comprendre cela, il faut relier le technique au social : les transitions dépendent de la manière dont des options techniques sont façonnées et mises en œuvre, et cela dépend des normes sociales, des politiques publiques en place, d’une économie industrielle, mais aussi des relations entre les acteurs dominants qui, collectivement, influent sur l’orientation du changement.
Cela dépend aussi des mouvements sociaux et des débats publics dont ces changements peuvent faire l’objet. Les transitions articulent aussi de différentes manières le local et le global, elles ne se déploient pas par l’un ou l’autre niveau exclusivement.
Ce regard sur les transitions est appliqué par les chercheurs du laboratoire, notamment son groupe thématique dédié à l’innovation et aux transitions et une communauté de recherche internationale plus large, le Sustainability Transitions Research Network à laquelle nous contribuons, pour comprendre les transitions dans le domaine agricole, alimentaire, mais aussi dans le domaine de l’énergie ou des transports, sujets au cœur de l’I-Site.
Il s’agit bien d’une approche que les sciences sociales peuvent déployer dans de nombreux secteurs, tous concernés par ces dynamiques de changement.
FUTURE Days 2022-2023 :
La transition s'impose aujourd'hui dans le discours mais recouvre pour autant de multiples réalités : transition écologique, transition numérique, transition sociale entre autres, sont les défis auxquels les territoires sont confrontés.
La 6e édition des FUTURE Days, ce sont ces transitions que nous vous proposons de discuter : leurs réalités, les transformations qu'elles impliquent et les modalités de leur mise en œuvre.
La déclinaison territoriale des enjeux de transition nous invite ainsi à initier un cycle de rencontres sur les différents campus de l'Université Gustave Eiffel.